CAHIER N°64

PRÉVENIR LA MALTRAITANCE, AU-DELÀ DE L’INJONCTION :

Une volonté affirmée, un engagement, une posture

La prévention qu’elle soit universelle, sélective ou ciblée constitue un sujet incontesté et incontestable actuellement. L’importance de mener des actions en dehors des actions réparatrices ou curatives ne peut être remise en question. Intervenir en amont, plus tôt est souhaitable et chacun aura tendance à adhérer à l’idée que c’est mieux ! La Prévention est une action complexe entre politique, relations individuelles et de groupes et politiques sociales ; comme action par anticipation elle ne peut être laissée à elle-même et impose des mesures politiques primaires sur lesquelles s’appuyer, une mesure isolée est rarement efficace.

Issue du modèle médical où le lien de cause à effet peut être démontré entre l’action menée et le danger prévenu et ce envers ou contre les patients dont l’avis reste secondaire, la prévention dans les domaines de protection de l’enfance nécessite d’être revisitée et réinterrogée. Comment transposer ce modèle à la protection de l’enfance ? Le danger reste, en effet, souvent difficile à définir, les liens entre l’action menée et l’évitement du danger reste plus problématiques à mettre en lumière. La prévention de la maltraitance pourrait paraitre stigmatisante parfois, sans compter le risque de normalisation.

Certes nous avons beaucoup appris au fil du temps, nous sommes moins démunis que par le passé, des avancées ont eu lieu, certaines situations de mauvais traitements ont disparu. Le rôle des prises en charge précoces et des interventions en périnatalité ont fait leur preuve. Ainsi les acteurs de terrain sont repérés et identifiés comme par ex la PMI, et leur importance n’est pas à remettre en question.

Et pourtant, on ne peut manquer de se questionner, de s’interroger sur les bases théoriques sur lesquelles s’appuient ces mesures de prévention. Des études rétrospectives menées tant à Paris, sous l’égide de Pierre Straus, qu’à Nancy avec Michel Manciaux ont mis en évidence des clignotants, des facteurs de risque de mauvais traitements. Ceux-ci sont désormais connus et font partie du corpus de connaissances et nous avons fait le choix de ne pas y revenir ici.

Mais on sait combien Michel Manciaux et Pierre Straus exhortaient à la prudence, devant la crainte de voir ces facteurs de risque identifiés devenir des « grilles de risque » auxquelles on pourrait faire dire n’importe quoi ! Grilles de risque qui feraient alors passer de la prévention à la prédiction. Michel Manciaux écrivait « tout ce qui concoure à l’étiquetage, à la ségrégation, à la dépossession ou à l’infantilisation des familles vulnérables dans une prétendue attitude de prévention aboutit tôt ou tard au résultat contraire ». Il existe en effet un risque réel d’enfermer ces familles dans une mauvaise image d’elles-mêmes voire de constater la bascule dans la maltraitance. L’effet produit est alors contraire au but poursuivi, un regard critique et vigilant sur ces actions de prévention doit donc persister pour être toujours dans une prévention primaire éthique c’est-à-dire centrée sur la personne, politique c’est à dire garante du bien être des personnes dans leurs conditions de vie et scientifique c’est-à-dire respectant les acquis des sciences humaines. L’idée de prévention, aussi floue soit elle, s’impose cependant dans les esprits et les pratiques mais il convient de reconnaitre combien elle peut conduire à des impasses et des paradoxes, d’en repérer les limites et d’admettre les ambiguïtés dont elle serait porteuse.

Nous nous proposons donc de réinterroger le concept de prévention dans ces acceptations variées. Qu’est-ce que la prévention de la maltraitance ? Que prévient-on ? Jusqu’où prévenir les dysfonctionnements ?

Quelle place pour les usagers ? Comment redonner leurs compétences et leurs savoirs faire aux familles ? Accepter leur capacité à reconnaitre et identifier leurs besoins en développant leur pouvoir d’agir dans une co-construction avec des professionnels.

Quel devenir pour la prévention dans un contexte de logique gestionnaire où le quantitatif cède aisément le place au qualitatif, où la passion du chiffre s’oppose assez radicalement à la prise en compte de la singularité des situations ?

Le fossé se creuse entre la hiérarchie qui décrète, légifère et le terrain en continuelle évolution.

Le contenant tend à remplacer le contenu, les poids des idéologies conduit à des impasses répétitives, des décisions sont prises à l’encontre des progrès acquis mis en valeur par des évaluations

Il nous faut retrouver une posture de la rencontre, de l’engagement et des prises de risque pour une réelle prévention prévenante chère à Michel Manciaux et repartir avec humilité à la recherche de « l’introuvable intérêt de l’enfant » d’autant que nous connaissons tous l’évolution favorable de certaines situations, totalement à l’encontre des pronostics pessimistes des professionnels, c’est dire que la répétition trans-générationnelle n’est pas obligatoire.